De la thèse d'École à la thèse d'État
Eustache Le Noble ayant publié de multiples pamphlets et dialogues, Henri-Jean Martin est conduit, dès sa thèse d’École, à utiliser les ressources de la bibliographie matérielle afin d’identifier les fausses adresses et les éditions clandestines, « tâche pour laquelle la formation de philologue et de critique reçue à l’École des chartes [lui] a été très utile ». Cette expertise attire l’attention de Julien Cain, qui siège dans son jury de thèse et qui fait entrer Martin à la Bibliothèque nationale dès sa sortie de l’École, en 1947.
C’est paradoxalement grâce à Émile Coornaert, professeur au Collège de France et spécialiste de l’histoire des corporations, que Henri-Jean Martin s’est intéressé à l’histoire du livre : il mène sous sa direction une étude consacrée à Sébastien Cramoisy, il suit ses cours et découvre grâce à lui les archives notariales d’Anvers. Or Ernest Coyecque vient de rassembler de telles archives à Paris, en convaincant les notaires de confier leurs fonds anciens aux Archives nationales.
Henri-Jean Martin obtient un détachement au CNRS de 1959 à 1962, qu’il consacre essentiellement à sa thèse, dirigée par Roland Mousnier. Il se confronte à « une masse gigantesque de documents » : outre les dépouillements aux Archives nationales, il explore les archives de la direction de la Librairie (collection Anisson) et celles de la communauté des libraires parisiens à la Bibliothèque nationale. Il dépouille également le catalogue des imprimés de la BN pour construire un fichier de la production imprimée française année par année.
« Il fallait vraiment, pour s’y adonner, être un maniaque de la fiche et de la bibliographie comme moi »
Ces recherches conduisent à une thèse monumentale en sept volumes (XC-1359 f.), achevée dans des conditions difficiles, soutenue et publiée en 1969 : Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIᵉ siècle (1598-1701). La première partie, fruit d’une grande enquête sérielle, est consacrée aux données statistiques et à l’évolution de la production, tandis que les deux parties suivantes s’attachent à l’étude du métier et à l’analyse de bibliothèques privées, de façon à permettre une interprétation globale du mouvement du siècle. Elle prend place dans une série inaugurée trois ans plus tôt chez Droz et qui porte le même titre que la direction d’étude de Martin à l’EPHE, « Histoire et civilisation du livre ».
La découverte d’une source inespérée – les registres d’un des deux grands libraires grenoblois du XVIIᵉ siècle, publiés en 1976 – permet à Henri-Jean Martin de pallier ce qu’il considére comme une limite de l’enquête menée dans sa thèse : ces registres donnent accès aux ouvrages de faible valeur marchande rarement décrits dans les inventaires, et rendent possible la reconstitution de la vie littéraire dans une capitale régionale.