De l'autre côté du bureau
Henri-Jean Martin, professeur à l'École des chartes
Lorsque Pierre Marot, qui prend sa retraite en 1970, propose à Henri-Jean Martin de lui succéder pour l’enseignement de la bibliographie et de l’histoire du livre, ce dernier hésite, tant son rapport avec l’École reste ambivalent. Reconnaissant « qu’on y enseigne l’honnêteté intellectuelle et la recherche de la vérité historique », il accepte de se porter candidat, tout en sachant que « son retour dans cette maison serait pour [lui] une épreuve ».
Rétif à la solennité et au « culte des valeurs reconnues » qui règnent à l’École, Martin cultive son anticonformisme et n’hésite pas à faire le pitre, rappelant « qu’il ne faut jamais prendre ses capacités au sérieux ». Pour l’ingrate bibliographie, il fait appel « aux moyens les plus démagogiques » : « Debout derrière un empilement de livres, je faisais l’article en criant à la manière d’un camelot ».
Son enseignement s’organise en deux parties : bibliographie d’une part, techniques et histoire du livre et de la gravure d’autre part. Martin multiplie les supports pédagogiques (livres, estampes, recueils d’ornements, papiers filigranés et marbrés…), conservés aujourd’hui à la bibliothèque de l’École, et recourt abondamment aux diapositives. Il attire ainsi de nombreux élèves en thèse.
Avant de devenir titulaire à l’École des chartes, Martin avait fait ses premières armes de professeur d’histoire du livre dans la préparation au diplôme de bibliothécaire, enseignement qu’il poursuit à l’École nationale supérieure des bibliothécaires créée en 1963, y compris après le déménagement de l’ENSB à Villeurbanne en 1974. Il y apprend beaucoup de son auditoire, hétérogène et évolutif.
La même année 1963, Martin rejoint la IVᵉ section de l’EPHE, en tant que directeur d’étude cumulant. Son séminaire attire d’emblée, grâce à l’investissement de Jeanne Veyrin-Forrer, bibliothécaires et ingénieurs du CNRS, mais aussi des élèves de l’ENSB et « quelques petits chartistes, attirés là par la lecture de L’apparition du livre ». Véritable pépinière d’historiens du livre, ce séminaire fait aussi naître de fructueuses collaborations avec Roger Chartier et Daniel Roche.
Henri-Jean Martin prend progressivement sa retraite en 1990-1993, non sans avoir obtenu le dédoublement de sa chaire, désormais partagée entre la période moderne (Annie Charon) et la période contemporaine (Élisabeth Parinet).
À l'occasion de son départ, ses élèves chartistes lui offrent une boîte en forme de reliure factice. Non sans humour, ils y glissent des biscuits amaigrissants, des photographies des lieux où il a exercé, un sachet de livres pornographiques (en écho à son affectation au catalogage de l'Enfer de la BnF) et une fausse carte de lecteur.
Plus tard, en 1997, ses anciens élèves lui rendent hommage à travers un substantiel volume de mélanges intitulé Le livre et l’historien, qui lui est remis lors d’une cérémonie à la Sorbonne.