« Comment peut-on être chartiste ? »
Henri-Jean Martin naît en 1924 à Paris, dans une famille « ruinée des deux côtés » : son grand-père maternel, bijoutier, voit son entreprise décliner après 1914, tandis que son père ingénieur perd son emploi avec la faillite de la société Gaumont. Il n’a pas d’antécédents familiaux qui le prédisposeraient à une carrière chartiste, à l’inverse de son camarade René Girard, dont le père est conservateur de la bibliothèque municipale d’Avignon et du musée Calvet.
D’abord instruit à la maison par sa mère avec ses trois frères et sœurs, Henri-Jean Martin reçoit une éducation peu conformiste. Grand lecteur, il dévore la bibliothèque familiale et se forge ainsi une solide culture en autodidacte. De son passage au lycée Condorcet pendant les années du Front populaire, il retient surtout la grande liberté d’expression encouragée par les professeurs. Peu travailleur, il consacre son temps libre à bricoler des maquettes avec son père « inventeur », et collectionne les soldats de plomb, une passion qui lui aurait donné le goût de l’histoire… et des plombs typographiques.
Son baccalauréat en poche, poussé par une situation familiale précaire, Henri-Jean Martin se tourne vers les concours de la fonction publique. D’abord tenté par le métier d’ingénieur, il fait le choix d’une carrière d’historien et entre en hypokhâgne au lycée Henri-IV, avant de passer finalement le concours de l’École des chartes, perçu comme une voie d’intégration professionnelle plus rapide.
Les épreuves écrites du concours d’entrée sont alors regroupées en deux sessions de quatre heures et centrées sur le latin et l’histoire, tandis que les épreuves orales se répartissent entre « explication latine », allemand et anglais, géographie historique, histoire et langues facultatives (pour Henri-Jean Martin, le grec).
Les sujets des épreuves écrites en 1943
- Histoire moderne : La Révocation de l’Édit de Nantes
- Histoire médiévale : Charlemagne et la Saxe
- Version latine : Tite-Live, Histoire romaine, I, 53
- Thème latin : Montesquieu, Considérations, ch. XIII
« Écrire un texte, quand on a dix-neuf ans, sur Charlemagne et les Saxons, un ou deux ans après son bachot, relève vraiment du défi ! » L’attention des examinateurs de l’École se focalise en outre sur l’histoire-bataille, ce qui agace profondément le jeune Henri-Jean Martin. Interrogé à l’oral par Gustave Dupont-Ferrier, il se voit ainsi reprocher une malencontreuse interversion entre le jour et le mois du couronnement d’Henri IV et la date de son entrée à Paris.
Ayant reçu à l’écrit les notes de 11 en histoire du Moyen Âge, 14 en histoire moderne, 18 en version latine et 5 en thème latin, Henri-Jean Martin est brillamment reçu 4ᵉ sur les 20 candidats admis à l’École et les 79 inscrits.